L’affaire des virées nocturnes des joueurs de l’équipe de France Espoirs met en lumière un mal qui existe depuis longtemps dans le foot. Analyse.

Soirée du samedi 13 octobre, Le Havre.Cinq joueurs de l’équipe de France Espoirs quittent, en taxi, leur hôtel Mercure pour rejoindre la capitale, à 200 kilomètres de là. Yann M’Vila, Chris Mavinga, Antoine Griezmann, Wissam Ben Yedder et M’Baye Niang ne rentreront qu’au petit matin, après avoir passé la nuit dans une boîte de nuit des Champs-Élysées. L’affaire aurait pu en rester là. Mais trois jours après, ils perdent piteusement lors d’un match couperet qualificatif pour le prochain championnat d’Europe (défaite 5-3 face à la Norvège). La presse révèle la virée nocturne, et les réactions affligées sont légion. Les deux joueurs du Stade rennais (Yann M’Vila et Chris Mavinga) seront même exclus partiellement, obligés de traîner les pieds en championnat amateur. « Faute irresponsable », comme le confie au Point.fr le journaliste sportif Didier Roustan, ou exutoire face à la pression quotidienne ? Pourquoi les footeux aiment-ils les boîtes de nuit ? Éléments de réponse.

Ils sont nombreux, ces footballeurs à être passés des pages sport à la rubrique faits divers après une soirée bien arrosée. De George Best en 1968 à Steven Gerrard en 2008, les frasques ou les accès de colère impliquant certaines stars du ballon rond semblent avoir toujours existé (voir la chronologie ci-dessous). « En 37 ans de journalisme dans le football, j’ai toujours connu ça », explique Didier Roustan, actuellement en poste à L’Équipe TV. « Les joueurs ont besoin de s’amuser, de sortir, c’est une sorte de sas de décompression », ajoute celui qui dirige Foot citoyen, une association destinée à promouvoir les valeurs du ballon rond.

Comme des rock stars

Si les affaires impliquant les footballeurs stars paraissent légion, cela n’est dû qu’à l’écho médiatique qu’elles engendrent. En effet, cela reste très minoritaire si l’on compare avec la majorité des joueurs professionnels. C’est l’analyse de Julien Bertrand, sociologue et auteur de La fabrique des footballeurs (éditions La Dispute) : « Ça ne concerne qu’une infime partie de l’ensemble des joueurs professionnels. La plupart ont des vies plus rangées. Mais c’est un fait que la minorité en question est plus exposée médiatiquement, du fait de sa popularité. »

Cette « élite du football » tient aussi à afficher sa réussite sportive, devenue également médiatique et économique. « La grosse voiture, les belles femmes, les soirées VIP forment les attributs de leur réussite », explique Julien Bertrand. Pour eux, cela « fait partie du métier ». D’ailleurs, certains footballeurs de renom ont recours aux mêmes services que les rock stars : location de jet privé, de voiture de sport, réservation dans des soirées privées…
Ludovic Giuly, footballeur passé par Monaco, Barcelone ou encore le Paris-SG, a d’ailleurs fondé en janvier 2010 Ultimate Player, une société dédiée à la conciergerie de luxe pour ses compères du ballon rond. Un service personnalisé que l’actuel joueur de Lorient, tout comme ses clients, souhaite discret. Contacté par Le Point.fr, il n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.

Les centres de formation en cause

Autre facteur important dans cette relation entre footballeurs et monde de la nuit : leur conditionnement à exercer cette profession. En cause, les centres de formation, devenus le passage obligé pour tout jeune souhaitant briller dans les plus grands clubs européens. « Jeunes, ils font énormément de sacrifices », constate Didier Roustan. Les plus précoces obtiennent d’ailleurs leur ticket d’entrée dans les centres de formation dès l’âge de 13 ou 14 ans.

« Dans ce milieu où ils grandissent, il ne faut pas oublier que les règles établies sont très strictes », ajoute Julien Bertrand. Certains centres stipulent d’ailleurs dans le contrat avec le joueur l’interdiction de sortir en discothèque. Résultat, une fois professionnels, certains s’autorisent ce qui leur a été si longtemps interdit. L’exemple de Yann M’Vila (22 ans) l’illustre parfaitement, tant la sortie sur les Champs-Élysées n’est qu’un exemple parmi d’autres d’écarts de conduite.

Les soirées VIP ne se limitent pas aux discothèques. En 2010, l’affaire Zahia avait défrayé la chronique. Là encore, les centres de formation sont pointés du doigt : « Les joueurs passent leur adolescence dans un milieu essentiellement masculin, que ce soit sur les terrains ou en classe », analyse Julien Bertrand. Alors, pour s’attirer les charmes d’une jeune femme et une nouvelle fois « rattraper le temps perdu », les jeunes footballeurs qui connaissent le succès n’hésitent pas à utiliser leur nouvelle manne financière.

L’exemple Maradona

Néanmoins, pour Didier Roustan, il convient de distinguer « les grands joueurs », qui « ont besoin de faire la fête » sans altérer leur réussite sur les terrains, et les autres, qui « n’assurent même pas après une soirée un peu trop arrosée ». Ainsi, Diego Maradona inscrit en 1986 le fameux « but du siècle » lors du quart de finale du Mondial. La main de Dieu, dira-t-il. La veille, l’Argentin ne s’était pas privé de faire la fête ! L’icône du football du début des années 1990 multipliera les excès, jusqu’à devenir accro à la cocaïne. Pourtant, « Maradona fait partie de ceux, avec des Brésiliens comme Romário ou, plus récemment, Ronaldinho, qui ont besoin de faire la fête. Sauf qu’eux, ce sont des génies », s’enthousiasme Didier Roustan. Yann M’Vila et compagnie le savent bien : ce qui leur a coûté cher, ce n’est pas la fête, c’est la défaite.

Ces (quelques) soirées de footballeurs qui ont fait jaser

18 octobre 2012 : cinq joueurs de l’équipe de France Espoirs quittent Le Havre pour Paris, le temps d’une nuit. Trois jours après, ils s’inclinent face à la Norvège (5-3).

Juillet 2012 : dans une discothèque de Lisbonne, Cristiano Ronaldo, le joueur du Real Madrid, provoque une bagarre. Il aurait dragué un mannequin, ce qui n’était pas du goût du compagnon de cette dernière.

Août 2011 : après le match France-Chili, à Montpellier, Yann M’Vila passe la nuit en discothèque. Il en ressort avec deux jeunes femmes qui lui dérobent, dans sa suite, une montre de 13 000 euros et plusieurs effets personnels.

2009 : la jeune call-girl Zahia est invitée en avion à fêter les 26 ans de Franck Ribéry, un an après avoir eu des relations sexuelles avec un autre international tricolore, Karim Benzema, rencontré dans une discothèque parisienne. Impliquée dans une affaire de proxénétisme, elle confiera avoir été mineure aux moments des faits, avant de se rétracter.

2008 : l’international anglais Steven Gerrard, ivre dans une boîte de nuit, se met à tabasser le DJ du club qui n’aurait pas passé les titres qui lui avait demandés.

2004 : Joey Barton (actuel joueur de l’OM), au cours d’une soirée arrosée, apprécie peu que son coéquipier Jamie Tendy tente de mettre le feu à sa chemise. L’Anglais lui écrase donc son cigare dans l’oeil !

1995 : fraîchement transféré au PSG, Patrice Loko s’emporte en sortant de discothèque : il dégrade deux voitures, dont la sienne, insulte le personnel de l’hôpital où il est transféré, puis exhibe son sexe devant une inspectrice de police.

1968 : un employé d’hôtel retrouve dans une des chambres l’attaquant irlandais George Best avec Miss Univers. Sur le lit, 20 000 livres sterling en petites coupures sont étalées.

Laisser un commentaire